Combien de royaumes nous ignorent !

C’est une ode à notre finitude que ce livre compose : miscellanées de royaumes vers lesquels nous nous tournons comme les fleurs vers le soleil. Pour nous en persuader, il suffit de les parcourir, ces seigneuries minuscules que nous gouvernons à peine et à l’examen desquelles se livre Thierry Laget : d’une exégèse de Johnny Hallyday à l’art inuit, en passant par la confrérie des coiffeurs et l’Olympe des gymnastes au féminin. On se souviendra peut-être avec bonheur du titre qu’Henri Thomas a donné à ses essais, La Chasse aux trésors. Quand lire est une aventure ou une quête, et qu’anecdotes, confessions, souvenirs s’éclairent du retour de l’une de ces pages qui ont sédimenté en nos cœurs et désormais nous font. Depuis Gil Blas de Santillane jusqu’aux leçons de La Morale au cours élémentaire, elles finissent par esquisser, non sans humour ou autodérision, un autoportrait du lecteur. Ah, la désastreuse influence saturnienne des romans ! Souvenir de la fièvre ou de l’évanouissement devant tel passage de Stendhal ou d’Apollinaire. Mais la flamme allumée en nous par ces lectures sera un jour — peut-être — celle d’un autodafé.
Tout doit disparaître ? Tout doit ressusciter, dans les livres. 

Quand on songe, explique le docteur Esquirol, à « la manière de vivre des femmes en France », au « goût effréné qu’elles ont pour les romans et la toilette, pour les frivolités », on ne s’étonne pas que « les maladies nerveuses, et particulièrement la folie, se multiplient ». C’est une épidémie. « De même que la lecture des romans dispose à la mélancolie érotique, la lecture des livres mystiques ou relatifs à la sorcellerie dispose à la démonomanie. » (Grâce à ces gens, un siècle plus tard, les surréalistes pourront fêter le « centenaire de l’hystérie ».) Il est vrai que certains jeunes hommes lisent des romans : ne point les en détourner revient à leur donner « une éducation molle et efféminée », la littérature étant aussi néfaste à la virilité que la masturbation ou la continence.Th. L.