Bergers d’Arcadie

Arcadie

dessins et eaux-fortes de Christiane Vielle
Fata Morgana, 1995, 55 pages
ISBN : 978-2-85194-406-1

C’était donc vrai : les pasteurs, les bergers, les chevriers d’Hésiode ou de Virgile s’aventuraient dans les forêts, sur les montagnes, dans les ravins, pour y poursuivre une brebis, un agneau qui s’était écarté du troupeau. Ils l’appelaient à tous les vents, dont ils connaissaient les visages et les noms pour les avoir appris de leurs pipeaux. Une voix moqueuse répétait leurs paroles. Et ils se distrayaient de leur mission pour jouer avec des échos : railleries que la nature lançait sur leur passage, chants de cigales, bourdonnements d’abeilles, piailleries d’oiseaux dans les buissons. Au cœur de la conversation qu’ils avaient éveillée, ils tentaient de percevoir un sens, comme des signes de ponctuation qui voudraient comprendre la phrase où le scribe les place. Le monde matériel était encore vivant.
L’orage ou la nuit les surprenaient là. Ils s’enfonçaient dans l’inconnu, attentifs aux bruits des taillis, aux grognements des roches, au soliloque sibyllin des sources. La nature les intimidait.

Auteur de quatre romans (dont Iris, prix Fénéon 1992) et d’essais sur Proust et sur Florence, Thierry Laget est de ces écrivains singuliers qui, tels Bergounioux, Macé ou Michon, mêlent intimement la rêverie à l’essai et l’autobiographie à la fiction, mais imposent leur univers par une extrême qualité d’écriture.
Récit en trois mouvements, Bergers d’Arcadie est une évocation de l’homme du Similaun retrouvé dans un glacier aux bergers de la Crèche, d’un monde rural plus rêvé que recréé.

Les restes d’un homme préhistorique trouvé à la frontière italo-suisse par des alpinistes, une photo de mariage dans la campagne, une crèche, sont les trois points de départ d’une rêverie sur le temps, la beauté, l’éphémère. Il y a quelques années, les paléontologues s’interrogèrent sur le corps presque intact d’un chasseur, « l’homme du Similaun ». Il n’en faut pas plus pour qu’un écrivain sensible et érudit recrée l’instant de la mort, la surprise du destin figé par le hasard, le miracle ou l’illusion de l’éternité perçue dans un corps que les millénaires ont épargné. Un style élégant, une pensée vive, un livre qui aurait ravi Roland Barthes.
Le Monde,
9 février 1996.

C’est un petit recueil diamant qui trouve sa source d’inspiration dans le berceau de la tradition poétique de la Grèce ancienne, pour rejoindre la magie des réminiscences enfantines, que vient de publier Thierry Laget. Délicatement illustré par quelques eaux-fortes originales de Christiane Vielle, le message nous arrive en trois vagues, baptisées comme les bateaux : Bergers d’Arcadie I, Bergers d’Arcadie II, Bergers d’Arcadie III.
Le premier abrite dans ses voiles la naissance de la poésie ; le second lance un clin d’oeil à l’Auvergne, avec la complicité des rangs d’oignons d’une noce du début du siècle, et le troisième nous révèle que le regard est la vraie création.
Et le tout confirme le grand talent de Thierry Laget.
Jean-Claude Delaygues,
La Montagne, 1996.